Lectures

SCUM Manifesto
de Valerie Solanas

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Table des matières

C’est parti mon loulou! Aujourd’hui, on s’attaque à SCUM Manifesto, un texte fort peu consensuel d’une meuf bien énervée. Publié en 1967, le SCUM Manifesto est l’un des textes les plus provocateurs et polémiques de l’histoire du féminisme. Rédigé par Valerie Solanas, figure marginale, queer et radicale, ce pamphlet continue, aujourd’hui encore, d’interpeller, de faire rire, de choquer ou d’inspirer.

Pour tout te dire, je cherchais à lire un bouquin féministe “énervé” quand ce livre misandre m’a été conseillé. Je dois avouer cependant que je ne m’attendais pas à ce type de lecture. Au départ, j’ai eu du mal à me mettre dedans, ayant l’étrange sentiment d’être face à un OVNI. Le discours de l’autrice m’a tenu à distance : elle y vomissait une colère monstre et le manque de logique et de rationalité m’a surprise.  Je suis passée directement à la postface de Lauren Bastide, qui m’a aidée à recontextualiser le texte et à comprendre d’où partait l’autrice. La lecture a ensuite été plus simple, parfois même amusante. Il me semble surtout que la force de SCUM Manifesto est d’offrir un écho à une colère ou une frustration plus ou moins tue, que la lecture débride.

Mais que contient vraiment ce manifeste, me diras-tu ? Certain.e.s y voient un appel à la haine, d’autres une satire, un cri… Voici tout ce que tu dois savoir sur SCUM Manifesto, en espérant que ça te donne envie de passer en librairie pour approfondir le sujet.

Qui était Valerie Solanas ?

Valerie Solanas naît en 1936 dans le New Jersey. Son enfance est marquée par des abus sexuels répétés, d’abord par son père puis par son grand-père. Elle tombe enceinte à 15 ans ; son enfant est confié à sa mère. Solanas vit dans la rue, se prostitue, étudie la psychologie, écrit des textes, et répugne les compromis. Vous avez dit « marginale » ?

Elle tente de faire produire sa pièce Up Your Ass par Andy Warhol qui l’ignore. Elle signe aussi un contrat abusif avec l’éditeur Maurice Girodias, qu’elle perçoit comme une nouvelle trahison masculine. En 1968, elle tire sur Warhol. Il survit, elle est internée. Mais son manifeste, lui, survivra dans les marges, puis au centre.

C’est quoi le SCUM ?

Dans une Amérique secouée par les luttes civiles et les révoltes féministes, Solanas publie le SCUM Manifesto. Contrairement à ce qu’on croit souvent, Solanas n’explique jamais que SCUM signifie “Society for Cutting Up Men”. Le mot lui-même signifie “lie” ou “ordure” en anglais. C’est un mot à forte charge symbolique, retourné ici comme un emblème de révolte.

C’est un manifeste radical, furieux, souvent perçu comme un délire misandre. Mais pour nombre de lecteur·ices aujourd’hui, il s’agit surtout d’un texte politique, littéraire et satirique.

Résumé du SCUM Manifesto

Valerie Solanas annonce rapidement la couleur : « l’homme n’est biologiquement qu’un être incomplet, une femelle ratée, un accident génétique. » Ok, madame! On part donc sur une bonne vieille misandrie. Le ton est donné, on sait où on met les pieds. On ne prendra pas ses idées au pied de la lettre.

L’autrice développe une critique féroce d’une société façonnée par les hommes. Les hommes sont décrits comme agressifs, compétitifs, égoïstes, incapables d’amour sincère, de créativité ou de coopération. Ils ont construit une société basée sur le pouvoir, l’argent, la guerre, la hiérarchie et la destruction. Les femmes sont, au contraire, naturelles, altruistes, équilibrées, capables d’empathie et de création.

Pour Solanas, il faut renverser le patriarcat non pas en négociant, mais en le détruisant. Valerie Solanas appelle à la constitution du SCUM, un groupe qui viserait à éliminer les hommes et à instaurer une nouvelle société féminine. Solanas rejette toute tentative de réforme modérée. Pour elle, seule une action directe et radicale permettrait d’en finir avec la logique masculine destructrice.

La grosse question, en tant que lecteur.rice est de savoir si le programme de l’autrice était sérieux ou satirique. Le texte mélange en permanence une logique d’hyperbole, de provocation, et de lucidité politique. Il heurte, divise, mais marque durablement par la rage qu’il contient. C’est bien là toute la complexité du SCUM Manifesto. Peut-on prendre au pied de la lettre un appel à « éliminer les hommes » ? Ou faut-il y voir une critique ironique d’un monde profondément sexiste ? SCUM Manifesto est l’expression d’une colère authentique, née des expériences personnelles violentes de l’autrice et d’une observation très lucide du patriarcat.

Deux types de femmes selon Solanas : rupture ou conformisme

En plus de développer une critique violente des hommes, Solanas dépeint et oppose deux figures féminines. D’un côté, les femmes « collaboratrices », de l’autre côté les femmes « SCUM ».

Celles qui collaborent perpétuent le système, souvent sans en avoir conscience. Solanas les considère comme des ennemies, car elles intériorisent les normes patriarcales et les transmettent : « Elles veulent plaire, être désirées, approuvées. Elles renforcent le patriarcat en y trouvant des miettes de confort. » A l’opposé, les femmes « SCUM » sont radicales, insoumises, indifférentes au regard masculin. Elles ne cherchent pas à être aimées des hommes. Elles veulent abattre le système, pas s’y adapter. Ce sont les seules, selon Solanas, à pouvoir créer un monde nouveau.

Comme pour l’ensemble de l’oeuvre, il est nécessaire de prendre le recul nécessaire dans la lecture. En effet, il est intéressant de ne pas culpabiliser ni accabler, mais bien de reconnaître les mécanismes de survie à l’œuvre, et la possibilité de prise de conscience. Il est important de rappeler que Valerie Solanas reste une figure marginale, inclassable, même au sein du féminisme. Son manifeste suscite des débats profonds au sein des mouvements féministes : certain·es considèrent qu’il dessert les luttes pour l’égalité en instaurant un discours trop radical, voire contre-productif. Mais cette marginalité fait aussi sa force littéraire et politique.

Un texte qui fait rire, grincer, et penser

Je suis contente d’avoir pu lire SCUM Manifesto. Je peux le rayer de ma liste ! Difficile cependant de classer cette lecture et même d’en parler sans avoir droit à des « ah ouais mais non, ces discours extrêmes, ça ne fait avancer personne, c’est pas mon truc ». En réalité, plusieurs lectures coexistent. Le texte est écrit dans une langue hyperbolique et ironique, mais exprime aussi une colère véritable. Et surtout : le lecteur ou la lectrice est libre de choisir la lecture qui lui parle. Ce texte n’impose pas une interprétation unique, il invite à une confrontation intime avec nos conditionnements et nos colères, en écho avec ceux de l’autrice. D’autre part, SCUM Manifesto est un texte de référence. Comme le souligne Virginie Despentes, Solanas est une pionnière de la parole féminine brute. Ce texte pourrait aussi avoir participé à l’ouverture d’une parole décomplexée, brutale, frontale, dans le mouvement MeToo notamment.

J’ai aimé lire une colère féminine telle que celle de Solanas. La radicalité du texte ne peut que faire réagir. Il invite à penser, à réfléchir, et même à rire. Parce que, oui, j’ai ri de bon coeur en lisant “Les hommes sont des Midas d’un genre spécial : tout ce qu’ils touchent se change en merde.” C’est quand même très drôle et libérateur, non?