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Le masculinisme : comprendre un mouvement réactionnaire

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Si tu veux comprendre les grands enjeux liés au féminisme contemporain, il faut parler du masculinisme. Ça irrite, mais c’est malgré tout intéressant de comprendre ce mouvement. Avant d’attaquer la lecture, je te conseille de lire les articles sur le féminisme, la notion de patriarcat et les origines historiques des inégalités de genre.

Le masculinisme est un courant idéologique apparu en réaction aux avancées du féminisme et aux transformations profondes des rapports de genre. Derrière un discours prétendument défensif — celui d’hommes qui chercheraient simplement à « retrouver leur place » — se cache en réalité une contestation des acquis de l’égalité. Comprendre le masculinisme, c’est observer la résistance d’un ancien ordre social qui peine à accepter le partage du pouvoir entre les genres.

Aux origines d’un mouvement de réaction

Le masculinisme s’est développé à la fin du XXᵉ siècle dans les pays anglo-saxons avant de gagner du terrain en Europe. Il s’est nourri d’un sentiment de perte : celui, pour une partie des hommes, de ne plus être au centre de la société. L’essor des droits des femmes, la visibilité croissante des luttes LGBTQIA+ et la remise en cause des modèles familiaux traditionnels ont bousculé les repères d’une masculinité longtemps dominante.

En s’érigeant contre ces changements, les masculinistes se présentent comme les défenseurs d’un équilibre ancien — souvent fantasmé — où les rôles seraient clairement distribués : l’homme pourvoyeur, chef et protecteur ; la femme douce, dépendante et maternelle. Ce mythe d’une société harmonieuse avant « l’excès de féminisme » sert de socle idéologique à nombre de discours contemporains.

Ce que défendent les masculinistes

Les masculinistes partagent l’idée que les hommes seraient désormais victimes d’un renversement des rapports de pouvoir. Selon eux, les institutions — la justice, l’école, les médias — favoriseraient les femmes. Ils invoquent des exemples comme la garde d’enfants, la reconnaissance des violences conjugales ou les politiques de parité pour nourrir une rhétorique de persécution.

Derrière ce discours victimaire, on retrouve une nostalgie du patriarcat. Les masculinistes défendent la hiérarchie entre les sexes au nom d’une prétendue « nature masculine » faite de force, de rationalité et d’autorité. Le féminisme est présenté comme une menace, accusé d’avoir « féminisé » la société et d’avoir « affaibli les hommes ». Ce retournement du discours — où les dominants se décrivent comme dominés — est au cœur de la stratégie masculiniste.

Figures emblématiques et discours virilistes

Dans le monde anglophone, Andrew Tate incarne la forme la plus médiatisée et extrême de ce mouvement. Ancien champion de kick-boxing devenu influenceur, il diffuse sur les réseaux sociaux une vision hyper viriliste de la réussite masculine : accumuler richesse, pouvoir et femmes serait, selon lui, la preuve d’une masculinité accomplie. Ses vidéos mêlent conseils en séduction, apologie de la domination et mépris explicite des femmes. Il encourage ses abonnés à « redevenir des hommes », à « contrôler leurs émotions », à « dominer plutôt qu’être dominés ». Derrière son discours d’auto-affirmation, se cache une idéologie autoritaire, où la valeur d’un être humain se mesure à sa puissance et sa capacité à soumettre les autres.

Dans un registre plus intellectuel, Jordan Peterson critique également le féminisme et les politiques d’égalité au nom d’un « ordre naturel » qu’il faudrait préserver. Il valorise la hiérarchie et la compétition comme fondements d’une société saine. Son discours séduit une partie des jeunes hommes en quête de repères, souvent désorientés face aux bouleversements sociaux contemporains.

En France, des figures comme Éric ZemmourPapacito ou Daniel Conversano reprennent ces thèmes à leur manière. Sous couvert de défense de la « virilité française » ou du « bon sens masculin », ils dénoncent une société qui, selon eux, humilierait les hommes et dévaloriserait la masculinité. Ces figures trouvent un écho dans une partie de la jeunesse, notamment sur YouTube ou X (ancien Twitter), où circulent des contenus mêlant humour, provocation et idéologie réactionnaire.

Les communautés en ligne et la “manosphère”

Sur Internet, ces discours se rassemblent dans ce qu’on appelle la manosphère, un ensemble de communautés où se côtoient plusieurs courants : les MRA (Men’s Rights Activists) qui prétendent défendre les droits des hommes ; les PUA(Pick-Up Artists) spécialisés dans la « séduction » perçue comme une conquête ; les Red Pill qui affirment avoir « ouvert les yeux » sur la supposée domination féminine ; et les Incels, hommes se définissant comme involontairement célibataires, souvent animés par une haine virulente des femmes.

Ces espaces numériques amplifient le ressentiment, créant une culture de l’entre-soi masculin où les émotions sont réprimées et la domination glorifiée. Ils contribuent à propager une vision binaire et violente des rapports de genre, où l’égalité est vue comme une menace et non comme un progrès collectif.

Un mouvement révélateur d’une crise de sens

Le succès du masculinisme dit quelque chose de notre époque : une partie des hommes se sent déstabilisée par la remise en question de leurs privilèges. Plutôt que de s’adapter à un monde plus égalitaire, certains se replient sur des modèles archaïques de virilité. Cette crispation révèle la difficulté à repenser la masculinité dans un cadre non dominant. Pourtant, d’autres voies existent : celle d’une masculinité plurielle, capable d’empathie, de respect et d’écoute.

Sortir du masculinisme, c’est comprendre que l’égalité ne retire rien à personne — elle agrandit le champ du possible pour tou.te.s. Elle libère les femmes de la soumission, mais aussi les hommes de l’obligation d’être forts, invulnérables ou dominateurs. Dans cette perspective, le féminisme n’est pas l’ennemi des hommes, il est leur allié pour construire une société plus juste, plus libre et plus humaine.