Les bases

Sororité et adelphité : construire une solidarité inclusive et politique

pexels-cottonbro-6220846
Table des matières

Le mot sororité a fait son chemin dans nos conversations. On le lit, on l’entend, on le partage. Il évoque la bienveillance, le soutien, le lien entre femmes. Mais dans sa portée politique, il va bien plus loin. Il parle d’un refus : celui d’une société fondée sur la rivalité, la domination, la hiérarchie. Il appelle à se reconnaître dans l’autre, à se soutenir, à refuser d’être isolé.e face à l’injustice.
Et aujourd’hui, la réflexion évolue. De plus en plus, on parle aussi d’adelphité, un mot encore neuf, mais essentiel. Il élargit la sororité : il inclut toutes les personnes opprimées par le patriarcat, quelles que soient leur identité de genre ou leur expression. Là où la sororité tisse des liens entre femmes, l’adelphité tisse des liens entre humain.e.s, dans une même lutte contre les inégalités.

La sororité comme prise de conscience collective

Dans leur ouvrage Sororité, Le Pacte (Les Arènes, 2024), Lucile Peytavin, Maryne Bruneau et Aline Jalliet rappellent que la sororité n’est pas un concept abstrait. C’est un engagement. C’est une promesse que nous faisons les un.e.s aux autres de nous protéger, de nous élever, de ne plus être complices des violences du système.
Elles écrivent : « La sororité n’est pas un supplément d’âme, c’est un pacte. » Ce mot, pacte, change tout. Il dit la force du lien et sa dimension politique. Car soutenir une autre femme, ce n’est pas seulement un geste de compassion — c’est un acte de résistance. C’est refuser que la honte, le silence ou la peur continuent de nous diviser.

Historiquement, la sororité s’est imposée comme une arme symbolique et concrète. Dans les années 1970, le Mouvement de libération des femmes en France et ailleurs affirmait déjà que « le personnel est politique ». Chaque femme qui parlait, chaque groupe de parole, chaque manifestation participait à cette prise de conscience collective : nos expériences individuelles étaient liées à un même système d’oppression.
C’est cette compréhension commune qui a permis d’ouvrir la voie à tant de conquêtes : le droit à disposer de son corps, à dénoncer les violences, à exister dans l’espace public autrement qu’en silence.

L’adelphité : ouvrir le cercle

Mais le mot sororité, aussi fort soit-il, laisse parfois de côté celles et ceux qui ne se reconnaissent pas dans une identité de femme, ou qui subissent des discriminations croisées — racisme, transphobie, classisme, validisme.
C’est là que l’adelphité prend tout son sens. Le terme vient du grec adelphos, qui signifie « frère et sœur ». Il désigne une solidarité qui dépasse les catégories de genre. Une alliance entre toutes les personnes qui refusent le patriarcat, la domination et l’exclusion.
Parler d’adelphité, c’est reconnaître que le combat pour l’égalité ne peut être mené qu’ensemble. C’est affirmer que les luttes féministes sont indissociables de celles contre toutes les formes d’injustice.

Dans cet esprit, la parole des minorités de genre, des personnes racisées ou LGBTQIA+ enrichit le féminisme contemporain. Elle le rend plus juste, plus complet, plus humain. Comme l’écrit bell hooks, « la sororité n’existe pas tant que les femmes ne regardent pas les différences entre elles en face. » L’adelphité prolonge ce constat : elle invite à écouter, à apprendre, à se décentrer.

Défaire les réflexes de rivalité

Pendant des siècles, le patriarcat a imposé aux femmes — et plus largement aux personnes assignées à des rôles de genre — une culture de la rivalité. On les a dressées à se comparer, à se juger, à se méfier. La société a cultivé le mythe de la « femme unique » : celle qui réussit, celle qu’on admire, celle qu’on oppose aux autres. C’est un piège.
La sororité, puis l’adelphité, consistent justement à sortir de ce schéma. À reconnaître la valeur de chacun.e, à transformer la comparaison en inspiration. À comprendre que nos réussites ne se font pas aux dépens des autres, mais grâce à elles.

Dans Sororité, Le Pacte, les autrices insistent sur la nécessité de reconstruire un tissu relationnel abîmé : apprendre à se faire confiance, à collaborer sans hiérarchie, à ne pas reproduire les comportements du système qu’on combat. Ces gestes paraissent simples, mais ils bouleversent profondément nos manières de vivre et de militer.

Des gestes concrets pour vivre l’adelphité

Tu peux incarner la sororité — ou l’adelphité — au quotidien, dans des gestes concrets. Soutenir une collègue quand elle prend la parole, écouter une amie sans la juger, signaler une remarque sexiste, encourager une personne trans à s’exprimer sans crainte, valoriser les réussites autour de toi.
C’est dans ces gestes minuscules, répétés, que se construit la confiance collective. La révolution n’est pas toujours spectaculaire ; elle commence souvent par un mot bienveillant, un silence d’écoute, un espace laissé à l’autre.

L’adelphité, c’est aussi apprendre à prendre soin. De soi, des autres, du collectif. C’est se rappeler que la lutte pour l’égalité ne se gagne pas contre quelqu’un, mais avec les autres. C’est une réconciliation, pas une guerre.

Une révolution douce mais concrète

La sororité et l’adelphité ne sont pas des idées lointaines ni de jolis mots qu’on partage en ligne. Ce sont des manières d’être, de travailler, de réagir, de parler aux autres. Repenser la lutte, c’est aussi repenser la coopération : apprendre à ne plus dominer, à écouter, à faire place, à se remettre en question sans se défendre. C’est admettre qu’on a tou.te.s grandi dans un système qui valorise la compétition, la peur de manquer, la comparaison constante.

Tu peux, à ton échelle, participer à changer cette culture. Quand tu choisis d’encourager au lieu de rabaisser, quand tu acceptes la critique bienveillante sans te fermer, quand tu célèbres la réussite d’autrui au lieu de t’en sentir menacé.e, tu agis déjà contre le patriarcat. Ces petits gestes ne paraissent rien, mais ce sont eux qui transforment les relations, les collectifs, les espaces de travail. L’adelphité n’est pas un idéal inaccessible : c’est une pratique quotidienne, simple, courageuse, qui réinvente la manière de vivre ensemble.